Le 11 février, Journée internationale des femmes et des filles de science, met à l’honneur leur accès et leur participation aux sciences. C’est donc tout naturellement que Lecture Jeunesse a choisi cette date symbolique pour organiser, au sein de la Maison Poincaré, l’événement « Filles, sciences et culture » soutenu par le Ministère de la Culture et le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche.
Comment valoriser les disciplines scientifiques auprès des adolescents et les ouvrir plus largement aux filles ?
L’événement a été suivi en direct par 160 professionnels, et la vidéo diffusée sur la page de l’Institut Poincaré a cumulé 420 vues avant d’être mise en ligne sur la chaîne YouTube de Lecture Jeunesse.

Un contexte alarmant pour les filles et les sciences
L’ouverture de la journée a été marquée par l’intervention de plusieurs acteurs institutionnels, soulignant les inégalités persistantes entre les hommes et les femmes dans les filières scientifiques. Comme l’a rappelé Marie-Christine Ferrandon, Présidente de Lecture Jeunesse, le Baromètre de l’esprit critique d’Universcience montre que, bien que 69 % des sondés s’intéressent aux sciences, il persiste des disparités notables en termes de genre et de milieux socio-professionnels1https://www.universcience.fr/fr/esprit-critique/barometre-esprit-critique-2024.
Olivier Marco, Chef du département des relations entre science et société du Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, a insisté sur l’importance de lutter contre les biais de genre qui freinent la société de bénéficier des talents féminins. Il a rappelé que les efforts pour renforcer l’esprit critique des jeunes passent par un changement des représentations culturelles.
Gaëlle de Naurois, Chargée de mission pour la culture scientifique et le dialogue Sciences-Société au Ministère de la Culture, a également souligné que l’accès à la culture scientifique reste biaisé par des stéréotypes genrés, surtout dans les mathématiques, où les chiffres sont frappants : même si 40 % des enseignants chercheurs sont des femmes, il y a seulement 22 % de femmes professeures de mathématiques à l’université, et 14 % dans le domaine des mathématiques pures. Gaëlle de Naurois a également rappelé l’importante pour le Ministère de favoriser la lecture plaisir des sciences auprès des jeunes filles.
Conférence introductive : le grand chantier pour l’avenir de l’égalité filles-garçons en sciences se joue sur les réseaux sociaux
Emmanuelle Larroque, entrepreneuse sociale, Fondatrice de Social Builder, association pionnière de l’accès des femmes aux métiers d’avenir et du numérique, et autrice de « Tu seras scientifique, ma fille ! » (Vuibert, 2024)2https://www.vuibert.fr/ouvrage/9782311151060-tu-seras-scientifique-ma-fille a livré une conférence sur le rôle crucial des réseaux sociaux dans l’orientation des jeunes filles vers les sciences.
En France, la proportion de filles dans les disciplines mathématiques a chuté de 5 % et elles ne représentent plus que 28% des inscriptions en écoles d’ingénieur. Le monde technocentré qui nous entoure va cependant requérir des filles et des femmes de maîtriser des compétences scientifiques et numériques.
Une part non négligeable de jeunes déclarent être inspirée par les réseaux sociaux dans leurs choix de carrières3Enquête DEWALT et WorldSkills International, 2025. Les filles entre 12 à 15 ans passent en moyenne deux heures par jour sur les réseaux sociaux. Ce sont des vecteurs importants de socialisation et de construction identitaire. Selon Emmanuelle Larroque, ces plateformes représentent donc une opportunité unique de promouvoir des modèles féminins et des parcours scientifiques accessibles.
Toutefois, des défis existent, comme le harcèlement et les violences sexistes en ligne (notamment via le détournement du hashtag #GirlMath, souvent dirigées contre les femmes visibles dans ces domaines4Voir un article de presse sur le sujet du Huffington Post : « ‘Girl Math’, cette tendance TikTok sur les femmes et l’argent joue avec des clichés sexistes » (Huffington Post, 2023). La conférencière rappelle ainsi la nécessité de trouver une façon de sécuriser les jeunes filles sur cet espace.
Emmanuelle Larroque a souligné l’importance de créer des contenus intergénérationnels pour sensibiliser aussi bien les jeunes filles que leurs parents, qui jouent un rôle déterminant dans les choix d’orientation. Elle a plaidé pour la mise en place de formations pour accompagner l’usage des réseaux sociaux, ainsi que de temps de partage autour des programmes culturels qui intégreraient aussi de la prévention, en impliquant les familles.
Conclusion de l’étude sur les représentations féminines scientifiques dans la littérature ado contemporaine : c’est bien mais… peut mieux faire !
Notre association a ensuite présenté les résultats de son étude « Science au féminin » qui explore les représentations des femmes scientifiques dans les ouvrages destinés aux adolescents de la production éditoriale très contemporaine (2021-2024). Christine Mongenot et Aurore Mantel, co-rédactrices du rapport, ont respectivement introduit l’étude et présenté les résultats les plus saillants.
Les stéréotypes culturels s’installent dès le plus jeune âge et produisent des normes implicites et intériorisées qui vont expliquer les disparités en sciences. Celles-ci sont transmises aussi à travers les objets culturels variés (films, réseaux sociaux, jeux vidéo, livres, etc.). Comment la production éditoriale véhicule-t-elle des stéréotypes qui se construisent au sein des ouvrages ? L’étude essaye notamment de se détacher d’une approche purement quantitative, ainsi que d’embrasser l’ensemble des catégories de livres pour analyser les stéréotypes genrés.
L’étude a mis en avant des progrès, avec une intention des acteurs éditoriaux de revaloriser la place des femmes en sciences (parfois avec une démarche très explicite : 32 % des ouvrages affichent une démarche explicite de lutte contre les inégalités de genre en science ou mentionnent cet enjeu), et une augmentation des figures féminines fictives et réelles dans les livres (95 % des récits comportent au moins un protagoniste féminin et 77 % des récits mettent en scène des personnages féminins actifs dans l’histoire, qui prennent des décisions, agissent et influencent le cours des événements). Les femmes sont de plus en plus représentées comme des sachantes ou des médiatrices dans des positions de savoir scientifique.
Cependant, il persiste des écueils et une sous-représentation des femmes scientifiques réelles.
Il existe notamment des stéréotypes assez répandus dans les fictions, de filles qui aiment les sciences représentées comme des surdouées un peu à part, ce qui a tendance à véhiculer l’idée que les filles qui réussissent en sciences sont une exception avec un don inné (48 % des ouvrages de fiction analysés). Il y a aussi l’association des figures féminines à des qualités émotionnelles, et elles sont souvent associées à la nature et au care (70 % des ouvrages du corpus).
La table ronde : vers une inclusion systémique dans les actions de médiation
La table ronde animée par Agathe Franck a réuni plusieurs intervenantes, dont Héloïse Dufour, directrice du Cercle FSER, Leïla Bessila, doctorante et créatrice de l’exposition « Lumière sur les Femmes de Sciences » et intervenante pour la Fondation l’Oréal, et Noémie Lozac’h-Villain, directrice de l’association de culture scientifique Accustica. Héloïse Dufour et Noémie Lozac’h-Villain sont aussi membres du consortium ETOS (Egalité, Territoires et Orientation Scientifique). Les discussions ont abordé l’importance d’intégrer les inégalités de genre dès le plus jeune âge dans la médiation scientifique, et d’impliquer l’ensemble des acteurs de la société : enseignants, parents, psychologues, et communautés scientifiques.
Noémie Lozac’h-Villain a partagé la vision de son association, Accustica, qui s’efforce de transformer la société en brisant les stéréotypes de genre. Elle a souligné que les interventions isolées, bien qu’importantes, ne suffisent pas à changer durablement les mentalités. Accustica a notamment organisé l’exposition Les filles, osez les sciences, à Laval, pour sensibiliser aux inégalités dans les parcours scientifiques féminins. Toutefois, Noémie Lozac’h-Villain a insisté sur la nécessité de dépasser cette approche, qui fait porter la responsabilité du changement aux filles elles-mêmes, et de réfléchir à un changement systémique. Il est donc important de former non seulement les élèves, mais aussi les chercheurs, les enseignants et les parents pour lutter contre les stéréotypes.
Elle a rappelé que la question du genre ne doit pas être isolée des autres formes de discrimination, en particulier dans les régions rurales où les jeunes, filles comme garçons, sont parfois éloignés des études supérieures.
Leïla Bessila a, quant à elle, partagé l’expérience de son exposition, qui cherche à avoir un impact grâce à la diversité des femmes scientifiques présentées, inspirant non seulement les filles, mais aussi les garçons. Elle a insisté sur l’importance de montrer des modèles qui résonnent avec les jeunes de toutes origines sociales et géographiques.
Enfin, Héloïse Dufour a présenté brièvement l’expérimentation du parcours sur l’année scolaire mené par le Cercle FSER qui consiste en une session sur les biais inconscients, une rencontre en speed-meeting avec des chercheurs et chercheurs, d’une visite de laboratoire et d’un wikithon.
L’un des grands sujets abordés durant la table ronde fut celui de la non-mixité dans les initiatives visant à encourager l’orientation des filles vers les sciences. Plusieurs arguments ont émergé quant aux avantages et aux limites de cette approche.
Les discussions ont montré que la non-mixité temporaire offre un espace sécurisé aux filles pour échanger librement et s’approprier des modèles scientifiques féminins. Cet isolement temporaire permet aux filles de prendre confiance en elles et de s’extraire des pressions sociales ou des stéréotypes véhiculés par leurs pairs masculins. Des actions en non-mixité, comme des visites dans des facultés ou des rencontres avec des femmes scientifiques, ont parfois eu des effets positifs sur la motivation et l’implication des filles dans les disciplines scientifiques. L’utilisation de la non-mixité permet aussi parfois d’adapter les activités proposées, pour favoriser par exemple les expériences et l’utilisation du dessin pour donner aux jeunes filles confiance en elles.
Cependant, cette approche soulève aussi des questions. Il est essentiel de ne pas exclure les garçons du dialogue sur les stéréotypes de genre, car les inégalités dans les sciences sont un problème de société dans son ensemble, et non exclusivement féminin. Si les garçons ne sont pas sensibilisés et éduqués sur ces questions, ils continueront à reproduire les biais et les stéréotypes dans leurs rôles futurs, que ce soit en tant que collègues, recruteurs ou même parents. De plus, la non-mixité peut parfois être perçue comme une division artificielle, ne reflétant pas la réalité des environnements de travail mixtes dans lesquels les filles seront amenées à évoluer.
Ainsi, il est apparu qu’il est nécessaire de trouver un équilibre : proposer des moments en non-mixité pour permettre aux filles de s’affirmer, tout en incluant aussi les garçons dans la réflexion pour créer un environnement globalement plus égalitaire.
Un autre sujet central de la table ronde portait sur la question de l’évaluation des initiatives visant à promouvoir l’égalité des genres dans les filières scientifiques. Les intervenantes ont souligné que, bien que de nombreuses actions aient été mises en place, leur efficacité n’est pas toujours mesurée de manière cohérente ou systématique. Pour rendre ces actions durables et efficaces, il est essentiel de mettre en place des indicateurs communs afin d’évaluer leur impact sur les jeunes filles et sur la société en général. Ces indicateurs doivent permettre de mesurer non seulement le nombre de filles orientées vers les sciences, mais aussi des critères plus qualitatifs comme la manière dont elles se perçoivent dans ces domaines, leur confiance en elles, et leur sentiment de légitimité.
Enfin, il a été rappelé que les facteurs sociaux et culturels varient selon les contextes. Dans certaines régions, comme les zones rurales, la question du genre n’est pas toujours la priorité. Il est donc nécessaire d’adapter les interventions en fonction des réalités locales et de ne pas appliquer des solutions standardisées. Une évaluation des besoins spécifiques à chaque territoire est un préalable essentiel pour garantir la pertinence des actions menées.
Il est possible de consulter d’autres leviers pour les actions de médiation scientifique dans le dernier rapport de Lecture Jeunesse :
Pourquoi l’Observatoire de la lecture et de l’écriture des adolescents de Lecture Jeunesse ?

Cet événement se place dans la lignée des travaux de l’Observatoire de la lecture et de l’écriture des adolescents : depuis son lancement en 2017, celui-ci a notamment porté son attention sur les pratiques de lecture des jeunes concernant des sujets scientifiques, sur l’incidence des différents types et genres de lecture dans la construction d’une démarche critique et/ou scientifique. Cela fait donc plus de 8 ans que l’Observatoire file cette thématique à travers ses colloques, ses publications et plusieurs enquêtes, en s’efforçant de fournir aux médiateurs de la lecture une information éclairée sur une problématique très actuelle et des conclusions concrètes qui leur permettent de repenser leurs choix de corpus choisis lorsqu’ils conçoivent leurs dispositifs. L’événement s’inscrit donc dans une démarche d’une grande cohérence. En repartant de certains résultats de l’enquête menée par Clémence Perronnet pour Lecture Jeunesse5« L’influence des objets et des pratiques culturelles sur l’orientation des filles dans des filières scientifiques » (2023), qui s’intéressait plus globalement au rôle des objets culturels, toutes catégories confondues, dans l’orientation des filles vers les filières scientifiques, l’association s’est recentrée sur le livre via deux études publiées début 2025.
Pour aller plus loin
- Consulter les deux rapports et les autres publications numériques gratuites de Lecture Jeunesse : https://www.lecturejeunesse.org/la-collection-lj/
- Consulter la bibliographie constituée par le CNLJ
- Se former en tant que bibliothécaire aux problématiques scientifiques : l’intelligence artificielle et l’écologie
Références
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- 3Enquête DEWALT et WorldSkills International, 2025
- 4Voir un article de presse sur le sujet du Huffington Post : « ‘Girl Math’, cette tendance TikTok sur les femmes et l’argent joue avec des clichés sexistes » (Huffington Post, 2023)
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