Les prix littéraires jeunesse se revendiquent souvent comme des outils de médiation de la lecture. Mais, au-delà des discours, qu’en est-il des pratiques réelles mises en place par les médiateurs effectifs que sont les bibliothécaires, les enseignants ou les documentalistes ? A quelles conditions ces prix peuvent-ils véritablement constituer des outils de médiation ? Comment s’en saisir concrètement pour mettre en place une démarche motivante et engageante pour tous les adolescents, y compris ceux qui sont éloignés de la lecture ?
Les intervenantes du dernier panier du médiateur organisé par Lecture Jeunesse le 23 janvier dernier ont exploré ces questions. Animée par Aurore Mantel, chargée d’études à l’Observatoire de la lecture et de l’écriture des adolescents, la séance a réuni Lydie Laroque, maîtresse de conférences en littérature et formatrice dans le master de littérature jeunesse de l’INSPE de Versailles, Camille Labat, chargée de mission groupes jeunesse et bande-dessinée au Syndicat National de l’Edition (SNE) et Claire Rouveron, professeure documentaliste et membre de l’équipe organisatrice du Prix Passerelle(s). Les interventions ont offert un double éclairage théorique et pratique sur les enjeux des prix littéraires jeunesse, tant du point de vue des concepteurs que de celui des médiateurs.
Les enjeux des prix littéraires jeunesse : quelles spécificités ?
En prenant appui sur différents travaux de recherche, Lydie Laroque a ouvert la séance en exposant la spécificité du fonctionnement et des enjeux des prix littéraires jeunesse. Contrairement aux distinctions décernées dans le domaine de la littérature générale, qui souvent cherchent à promouvoir un auteur spécifique, les prix littéraire jeunesse ont vocation à mettre plus largement en lumière la littérature jeunesse, dans le but de légitimer ce segment éditorial longtemps dévalorisé. Ils visent également à développer chez les jeunes un rapport de plaisir à la lecture en mettant l’accent sur le partage d’expériences et les échanges entre pairs ainsi qu’entre adolescents et professionnels du livre, et notamment les auteurs. Leur objectif est aussi de former le goût littéraire des jeunes en les orientant vers des ouvrages de qualité au sein d’une production éditoriale abondante, et de développer leur esprit critique en les encourageant à produire un point de vue argumenté sur les livres. Ces prix sont une manière de valoriser les points de vue, les choix et les goûts des adolescents en leur donnant le droit d’attribuer un prix à une œuvre. Ils contribuent enfin à rapprocher les jeunes et les adultes en familiarisant ces derniers avec une littérature contemporaine, non patrimoniale, qu’ils méconnaissent généralement quoique qu’elle soit plus proche des adolescents, son écriture les prenant réellement en compte comme sujets lecteurs.
Tendances actuelles de l’offre éditoriale jeunesse et présentation du Prix Vendredi
En introduction de son intervention, Camille Labat a souligné le dynamisme du segment éditorial du roman adolescent qui porte le marché de la littérature jeunesse. Les effets du pass Culture ainsi que les nouvelles formes de prescription via les réseaux sociaux (Instagram, TikTok) sont les deux principaux facteurs évoqués pour expliquer cette vitalité. Pour autant, malgré son dynamisme, le secteur jeunesse peine à être connu et reconnu comme une littérature légitime. C’est donc dans une perspective de valorisation de la littérature jeunesse contemporaine qu’a été créé le Prix Vendredi en 2017 à l’initiative du groupe des éditeurs jeunesse du SNE. Ce prix, qui récompense chaque année un ouvrage francophone parmi une sélection de 10 titres, entend jouer un rôle prescripteur pour orienter les lecteurs et les médiateurs vers des œuvres de qualité au sein d’une offre éditoriale foisonnante. Camille Labat a ensuite détaillé les modalités de fonctionnement du prix (temporalité, modalité de soumission des œuvres, constitution de la sélection, composition du jury, etc.) en revenant en particulier sur la création en 2023 d’un jury adolescent dans le but de s’adresser directement au lectorat de la littérature jeunesse. Elle a ensuite exposé les différentes étapes du fonctionnement de ce jury, depuis la sélection des 7 jurés jusqu’au vote pour élire le lauréat du prix adolescent, en parallèle de celui du jury officiel. En conclusion, Camille Labat a présenté plusieurs initiatives très récentes mises en place autour du prix. Dans une volonté de s’adresser aux jeunes via les canaux qu’ils utilisent, des activités autour du prix ont été organisées sur les réseaux sociaux, notamment des jeux concours mettant en avant la sélection ou encore une collaboration avec l’influenceuse Audrey Tribot dont le compte Le souffle des mots sur Instagram et YouTube réunit au total 200k abonnés.
Des outils de médiation de la lecture pour tous les adolescents
L’intervention de Claire Rouveron a permis d’envisager les prix littéraires jeunesse non plus depuis la perspective des concepteurs, mais avec le point de vue des médiateurs. Elle a commencé par présenter le Prix Passerelle(s), une initiative locale portée par plusieurs établissements ruraux de l’académie de Limoges avec l’objectif d’inviter la culture dans les zones rurales. Ce prix propose deux sélections de quatre romans jeunesse, destinées respectivement aux élèves de CM2-6ème et à ceux de 3ème-2nde, l’objectif étant, à travers les activités mises en place autour de ce prix, de construire des « passerelles » entre ces niveaux scolaires charnières.
En prenant appui sur des projets menés par plusieurs enseignants (professeurs-documentalistes, enseignant de français, enseignants de sciences) autour du Prix Passerelle(s), Claire Rouveron a présenté plusieurs exemples d’activités pédagogiques : fiches de lecture revisitées, bandes annonces littéraires, carnets de bord, images interactives, cartes postales sonores, etc. La présentation du fonctionnement du Prix Passerelle(s) et de ces exemples de médiation a permis d’identifier plusieurs leviers d’engagement de l’ensemble des adolescents, y compris des « petits lecteurs ». Claire Rouveron a ainsi souligné l’importance de proposer une sélection diversifiée d’œuvres, à la fois en termes de genre et de niveau de difficulté, afin de correspondre aux différents types de jeunes lecteurs. Elle a également mis en avant l’oralité comme levier d’inclusion de tous les adolescents : sont ainsi prévues des lectures en classe ainsi que l’enregistrement des versions audio des livres sélectionnés pour inclure les adolescents présentant des handicaps visuels, moteurs ou cognitifs. Elle a également souligné la dimension engageante des outils multimédias pour impliquer des adolescents ayant un niveau de lecture plus faible. Enfin, ces exemples ont permis d’aborder les aspects pratiques de l’organisation de ces projets comme l’articulation de ces activités avec le programme scolaire, la collaboration entre enseignants, et le partage de ces activités entre le temps en classe et le temps libre des adolescents.
La réflexion ouverte par cette session autour des enjeux des prix littéraire jeunesse mériterait d’être poursuivie en se penchant davantage sur les effets de ces projets sur les adolescents, leurs représentations et pratiques de lecture. Quel regard en effet les adolescents portent-ils sur ces expériences qui leur sont proposées ? La prise en compte du retour des élèves mériterait d’être systématisée en intégrant au sein du protocole pédagogique de ces activités un volet dédié au recueil et à l’analyse de l’évaluation des projets par les élèves.
Par Aurore Mantel, chargée de mission pour l’Observatoire de la lecture et de l’écriture des adolescents chez Lecture Jeunesse